Règles, maternité et tabous : les enjeux physiologiques ignorés dans le sport féminin

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Règles, maternité et tabous les enjeux physiologiques ignorés dans le sport féminin

Pendant longtemps, le sport a été pensé par et pour les hommes. Et même si les femmes sont aujourd’hui omniprésentes dans toutes les disciplines, des pelouses de football aux pistes d’athlétisme, leurs besoins physiologiques spécifiques restent largement ignorés dans l’entraînement, le suivi médical, et la performance. Règles, contraception, grossesse, post-partum : ces sujets, encore tabous dans de nombreux milieux sportifs, ont pourtant un impact concret sur le quotidien et la carrière des sportives. Lever le voile sur ces enjeux est essentiel pour faire progresser l’égalité dans le sport, non seulement en matière de droits, mais aussi de santé et de performance.

Le cycle menstruel : un facteur de performance encore mal compris

Le cycle menstruel influence directement les performances physiques des femmes. Fluctuations hormonales, douleurs, fatigue, troubles digestifs, migraines ou baisse de motivation peuvent altérer l’entraînement ou la compétition. Pourtant, très peu de programmes sportifs intègrent ces données dans leur planification.

Durant la phase folliculaire (avant l’ovulation), certaines sportives constatent une amélioration de leur endurance ou de leur puissance. En revanche, pendant la phase lutéale (après l’ovulation), les performances peuvent diminuer à cause d’une température corporelle plus élevée, d’une plus grande fatigue et d’une récupération moins efficace.

Malgré ces réalités biologiques, rares sont les entraîneurs ou préparateurs physiques qui adaptent les charges d’entraînement en fonction du cycle. Pire encore, de nombreuses sportives hésitent à en parler de peur d’être jugées ou considérées comme « moins constantes ». Ce silence, parfois intériorisé dès l’adolescence, contribue à invisibiliser ces problématiques, au détriment de la santé et des performances.

Contraception et sport : un sujet encore trop peu abordé

Le choix d’une contraception hormonale peut aussi avoir des effets sur le corps de la sportive : variations de poids, rétention d’eau, troubles de l’humeur ou baisse de libido peuvent impacter l’équilibre général. Certaines pilules peuvent même modifier la récupération ou le métabolisme musculaire. Et pourtant, ces aspects sont rarement intégrés dans la stratégie d’accompagnement médical des athlètes.

De nombreuses sportives prennent la pilule pour « contrôler » leur cycle avant les compétitions, sans accompagnement gynécologique spécialisé. Or, chaque corps réagit différemment, et un suivi personnalisé est indispensable pour garantir un équilibre entre confort, performance et santé.

Grossesse et maternité : une étape décisive souvent mal accompagnée

Dans le sport professionnel comme amateur, la grossesse reste une période complexe à gérer. Longtemps perçue comme une « fin de carrière », elle commence seulement à être mieux acceptée grâce à des figures emblématiques comme Serena Williams, Allyson Felix ou Clarisse Agbegnenou, qui ont montré qu’il est possible de revenir au plus haut niveau après une maternité.

Pourtant, les dispositifs d’accompagnement restent très inégaux. Beaucoup de fédérations n’offrent aucune garantie contractuelle ou soutien médical aux sportives enceintes. L’accès à un suivi adapté (gynécologue du sport, kinésithérapeute formé au post-partum, coach spécialisé) est encore l’exception, pas la norme.

Il existe aussi un manque criant de données scientifiques sur les effets de la grossesse sur la condition physique et la reprise du sport. Le post-partum, en particulier, est une période délicate : douleurs périnéales, fatigue chronique, dépression post-natale, ou encore diastasis des grands droits (écartement des muscles abdominaux) nécessitent une approche globale, progressive, et bienveillante. Trop souvent, les sportives reprennent trop vite sans avoir été correctement évaluées, avec un risque accru de blessure ou de rechute.

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Le manque d’équipements et d’encadrement adaptés

Au-delà du suivi médical, les équipements eux-mêmes sont rarement conçus pour répondre aux spécificités féminines. Les vêtements de sport ne prennent pas toujours en compte les variations morphologiques du cycle, la poitrine, ou le confort pendant les règles. Certaines sportives n’ont d’autre choix que d’utiliser des protections hygiéniques peu compatibles avec la pratique sportive, faute d’alternatives bien conçues.

De même, peu de salles de sport, clubs ou fédérations proposent des espaces de change adaptés, des formations pour les coachs sur les enjeux menstruels ou post-partum, ou encore un langage inclusif et bienveillant sur ces sujets. Cette absence d’infrastructure contribue à maintenir les tabous et à marginaliser celles qui osent en parler.

Lever le tabou pour construire un sport plus juste

Les enjeux physiologiques féminins dans le sport ne sont pas des détails secondaires ou anecdotiques. Ils sont au cœur d’une performance saine, durable et équitable. Ignorer les règles, la maternité, la contraception ou le post-partum, c’est non seulement pénaliser des millions de femmes dans leur pratique, mais aussi entretenir une norme sportive fondée sur le corps masculin.

Il est temps que les clubs, les fédérations, les encadrants et le monde médical s’emparent pleinement de ces sujets. En formant les professionnels, en écoutant les sportives, en adaptant les équipements et les plans d’entraînement, le sport peut devenir un véritable levier d’égalité, de santé et d’émancipation.

Briser les tabous, c’est permettre à chaque femme de s’épanouir pleinement dans sa pratique, quel que soit son âge, son corps ou son parcours.

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