Dans les profondeurs de la natation : solitude et quête de soi dans Nadia, Butterfly

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Dans les profondeurs de la natation solitude et quête de soi dans Nadia, Butterfly

En 2020, le cinéma québécois a offert une œuvre singulière et sensible avec Nadia, Butterfly, un film de Pascal Plante qui s’éloigne volontairement des codes classiques du sport au cinéma. Ni biopic, ni fresque triomphale, il s’agit d’un portrait intimiste d’une athlète au tournant de sa vie, confrontée à la solitude profonde que peut engendrer un sport individuel comme la natation. Derrière les couloirs bleus des piscines et l’éclat des Jeux olympiques, le film met en lumière une réalité rarement évoquée : la quête de soi après une carrière sportive, et le silence intérieur qui accompagne souvent les champions lorsqu’ils quittent la scène.

Nous reviendrons sur le contexte du film, son intrigue, la manière dont il traite la solitude, ainsi que les choix esthétiques et narratifs qui en font une œuvre marquante sur la condition des athlètes.

Un film québécois atypique dans le paysage du cinéma sportif

Le cinéma de sport, en général, privilégie les récits héroïques : l’ascension d’un athlète, son combat contre l’adversité, son triomphe final. On pense à Rocky, Les Chariots de feu ou encore Million Dollar Baby. Nadia, Butterfly prend le contrepied de cette tradition.

Plutôt que de montrer une carrière qui se construit, le réalisateur Pascal Plante choisit d’explorer la fin d’un cycle : celui d’une nageuse de haut niveau qui décide de prendre sa retraite sportive après les Jeux olympiques de Tokyo. C’est un moment de rupture rarement abordé au cinéma, car il n’a ni le spectaculaire du triomphe ni le pathos de l’échec. C’est une zone grise, faite de doutes, de fragilité et de redéfinition de soi.

Le choix de tourner en grande partie avec d’anciennes nageuses professionnelles, dont Katerine Savard dans le rôle principal, renforce l’authenticité du film. Cela donne aux scènes aquatiques une intensité rare, mais surtout une véracité émotionnelle qui permet de toucher au cœur du sujet : la solitude de l’athlète.

Intrigue et personnages : une nageuse en quête d’elle-même

Nadia, Butterfly suit Nadia, une nageuse québécoise de 23 ans, qui décide de mettre fin à sa carrière après avoir participé aux Jeux olympiques de Tokyo. Contrairement à ses coéquipières, qui rêvent encore de médailles et d’avenir sportif, elle ressent une lassitude et une envie de passer à autre chose.

Pourtant, cette décision n’est pas sans conséquences. À travers ses interactions avec ses coéquipières, ses entraîneurs, sa famille et surtout avec elle-même, le film montre les tiraillements d’une athlète qui doit apprendre à vivre en dehors de l’eau. C’est là que surgit la solitude, à la fois choisie et subie.

Nadia se retrouve dans une position ambivalente : entourée par une équipe et par les caméras olympiques, mais profondément isolée dans son choix de tourner la page. Le contraste entre l’effervescence extérieure et le vide intérieur constitue le cœur du récit.

La solitude au cœur du récit

La solitude de l’athlète

La natation est, par essence, un sport individuel. Même lorsqu’elle est pratiquée en relais, chaque nageur est seul dans son couloir, face à sa performance. Le film capture parfaitement cette sensation : les plans sous l’eau, étouffés et silencieux, traduisent l’isolement quasi claustrophobique du nageur.

Nadia, tout au long du film, traverse des moments de silence et d’introspection. Ses relations sociales existent, mais elles paraissent distantes, presque superficielles, comme si elle n’arrivait pas à se connecter pleinement à son entourage.

La solitude de la transition

Au-delà du bassin, le film aborde une autre forme de solitude : celle de l’après-carrière. Quand un athlète met fin à sa vie sportive, il perd non seulement une activité, mais aussi un cadre, une identité, une communauté. Nadia se retrouve face à un vertige existentiel : qui est-elle si elle n’est plus « la nageuse » ?

Cette question, universelle pour de nombreux sportifs de haut niveau, est traitée avec beaucoup de délicatesse. Le film évite les grandes scènes dramatiques pour privilégier une atmosphère diffuse, où la solitude se ressent dans les non-dits, les regards, les silences prolongés.

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Esthétique et mise en scène : traduire la solitude par l’image

Le réalisateur Pascal Plante, lui-même ancien nageur de compétition, connaît intimement l’univers qu’il filme. Sa mise en scène capte la natation de manière viscérale : caméra au ras de l’eau, ralentis qui étirent les mouvements, sons étouffés de la respiration sous-marine.

Mais au-delà de la performance sportive, la réalisation insiste sur les moments de flottement. Les plans fixes, souvent longs, montrent Nadia dans des espaces vides : une chambre d’hôtel impersonnelle, une piscine désertée après les épreuves, des couloirs aseptisés. Ces lieux traduisent son isolement intérieur.

La lumière, souvent froide, accentue cette impression de détachement. Même les scènes de fête ou de célébration ne dissipent pas ce sentiment : Nadia est présente physiquement, mais absente psychologiquement.

Un film universel sur la fin d’un cycle

Si Nadia, Butterfly parle de natation, il va bien au-delà du sport. La solitude que vit Nadia est celle de toute personne confrontée à une transition majeure : quitter une carrière, changer de vie, dire adieu à une identité construite depuis l’enfance.

Le film touche ainsi un public large, car il parle de la peur du vide et de la nécessité de se réinventer. La métaphore de l’eau fonctionne parfaitement : nager, c’est avancer seul, plonger dans l’inconnu, trouver son souffle dans un environnement parfois hostile.

Pour Nadia, sortir du bassin, c’est se confronter à une autre forme de nage : celle de la vie, sans lignes directrices, sans chronomètre, sans coach.

La réception critique

Présenté au Festival de Cannes 2020 (dans la sélection officielle, malgré l’annulation de l’édition physique en raison de la pandémie), le film a été salué pour son approche réaliste et son audace thématique.

Certains critiques ont souligné son rythme lent et contemplatif, qui peut déconcerter un spectateur habitué aux récits sportifs plus dynamiques. Mais cette lenteur est précisément ce qui permet de ressentir la solitude et l’errance intérieure de Nadia.

Katerine Savard, ancienne nageuse olympique qui incarne le rôle principal, a également été remarquée pour sa performance naturelle et authentique. Son jeu, parfois minimaliste, reflète parfaitement la retenue émotionnelle d’une athlète qui a appris à tout intérioriser.

Pourquoi voir Nadia, Butterfly aujourd’hui ?

Dans un monde où la performance, le succès et l’image publique sont constamment mis en avant, Nadia, Butterfly offre un contrepoint précieux. Il rappelle que derrière chaque médaille, chaque record, se cache une personne vulnérable, confrontée à ses propres doutes et solitudes.

Le film propose aussi une réflexion plus large sur notre rapport à l’identité et au changement. Que faisons-nous lorsque nous devons quitter ce qui nous a définis pendant des années ? Comment réinventer notre vie lorsque la page se tourne ?

En ce sens, Nadia, Butterfly n’est pas seulement un film sur la natation, mais un film sur l’humain, sur la fragilité de nos parcours et sur le courage qu’il faut pour accepter le vide et le transformer en espace de liberté.

Avec Nadia, Butterfly, Pascal Plante signe un film profondément humain, qui se démarque des clichés du cinéma sportif. Loin des récits de gloire et de médailles, il propose un voyage intérieur, au cœur de la solitude d’une athlète confrontée à la fin de sa carrière.

En explorant l’intimité de Nadia, il nous invite à réfléchir sur nos propres transitions, nos silences et nos solitudes. Car au fond, la question que pose le film dépasse le sport : comment apprendre à vivre après avoir quitté ce qui nous définissait ?

Un film sensible, mélancolique et nécessaire, qui touche autant les passionnés de natation que tous ceux qui, un jour, ont dû affronter le vertige d’un nouveau départ.

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